Quand la vue est… vue autrement

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            Face à la maladie grave d’un enfant, face à l’angoisse de parents et face à la multitude d’examens autant secs que implacables, que nous en reste-t-il en tant que médecins ?

« Pourquoi être ophtalmo et psy à la fois »

            Très tôt pendant l’internat en ophtalmologie, sur les couloirs des hôpitaux ou en bloc opératoire, je me suis vue confronté à la souffrance et j’ai ressenti le besoin profond de donner un sens à cette souffrance, de trouver une signification à la maladie somatique.

            Ce besoin m’a accompagné au longue de ma vie professionnelle tel un fil conducteur et ce besoin m’a poussé à faire une deuxième formation en psychologie et psychothérapie.

            Une autre raison pour laquelle j’ai eu cet appétit pour les sciences ‘’psy’’ et cette sensibilité aux plans subtils c’est la découverte d’un nouveau courant de pensée en médecine – la médecine narrative ou humaine, ou la médecine de la personne, courant de pensée qui correspond à ma nature et qui ne se contente pas d’analyser le cas sec, formel, conventionnel, désincarné de sa vérité et de sa substance.

            La médecine narrative propose une autre vision sur le patient, il est étudié dans son contexte de vie, dans son milieu familial, enraciné dans une culture, confronté à aux défis de son époque et d’une société à laquelle il doit s’adapter, et, pourquoi pas, tributaire à une tradition et à une histoire de famille.

            Et puisque l’histoire de famille a son rôle dans notre parcours, disons que le fait d’avoir mes parents psychologues m’a familiarisé avec leur interprétation de la vie et de l’autrui, et je me suis imbibé depuis tôt dans cette ambiance, et je me suis nourri des lectures de spécialité.

            Ces deux approches m’ont offert une double clé de lecture, en décryptant la pathologie somatique, m’ont offert l’accès aux niveaux les plus profonds, les plus méconnus, même insoupçonnés de la maladie.

            Au-delà de la démarche médicale classique qu’on doit mener de la manière la plus rigoureuse et la plus exigeante possible, au-delà de ce que nous propose la médecine allopathe, il y a un plan subtil, une réalité ineffable, insaisissable qui nous échappe, mais dont on devine l’existence et son importance à la guérison. Mais si ineffable et subtile comme elle l’est, cette réalité profonde a la force nécessaire de produire un tel désordre organique, un tel bouleversement de la vie du patient.

            En tant que médecins on est munie d’un certaine acribie et ténacité, on a l’habitude de la rigueur et de la minutie, d’autant plus utiles dans la démarche psychologique.

            La pratique médicale nous épargne de l’enthousiasme facile, de la spéculation dérisoire ou inconsistante.

            D’autres médecins ont déjà essayé cette double approche médicale et psychologique. Je peux citer les ouvrages de Joséphine Hilgard – psychiatre, R.L. Levy – pédiatre, Ghislain Devroede – gastroentérologue et chirurgien, sans oublier que Sigmund Freud était à la base neurologue et physiologue et que Jung était lui aussi médecin psychiatre.

            Les deux approches ne sont pas, au fond, si différents comme il peut paraitre.

            La méthodologie, l’épistémologie médicale exige l’expérience de laboratoire, la démonstration, la précision, la quantification. La reproductibilité du résultat est essentielle ainsi que le rapport au standard, au normal et à la norme. La précision et le calcul mathématique font la base de la méthodologie médicale, les examens paracliniques sont des examens standard, objectives, objectivables et mesurables.

           En psychologie et psychothérapie l’approche n’est pas moins scientifique, se repose sur le constat clinique, l’étude de cas, des données scientifiques qu’on peut systématiser en calculs statistiques, de tests cognitifs, etc.

           Mais l’outil épistémologique essentiel reste l’intuition, l’hypothèse, le doute, l’analyse de notre propre ressenti en contact avec le patient, la réflexion permanente sur le transfert et le contre-transfert et surtout ce qui compose l’alchimie complexe et inextricable de l’alliance thérapeutique.

            On travaille surtout avec l’imperceptible, l’ineffable, l’évanescent, le tabou, le silence.

            Au fond, l’herméneutique de ces deux approches -médical et psychologique- ne sont pas tellement différentes, en tout cas, pas du tout dichotomiques – au fond la médecine et les sciences psy représentent deux fenêtres sur la même réalité fondamentale : la souffrance.

            Je pense que chaque praticien doit être familiarisé avec la dimension     psychologique de la maladie, dimension déjà inscrite fans le Code de Santé depuis 1991. Ça suffit de garder l’esprit ouvert, d’avoir l’œil aiguise, une sensibilité accrue à l’imperceptible et à l’ineffable, ainsi que la patience d’approfondir l’anamnèse et de renforcer l’alliance thérapeutique avec le patient, sans oublier une bonne tolérance à l’ambigüité et une certaine délicatesse au contact avec la tectonique la plus profonde de la souffrance.

            Ce n’est pas une tache compliquée, en plus, ça ne prend pas trop de temps. Si on est à l’écoute ouverte et sensible du patient, tout son contexte de vie et tout son vécu, même le passé familial surgissent à la surface.

            Il y a de détails subtils, fugaces, presque imperceptibles qui ne doivent pas échapper au médecin : un geste presque insaisissable, une voix soudaine rauque, un regard, une certaine posture, un mot qui s’échappe ou une parole qui se libère, un certain type de relaitonner avec le médecin, un rire qui ressemble aux sanglots, une respiration qui s’étouffe et la réalité intime du patient, le sous-texte caché de la maladie se dévoilent dans quelques secondes, de manière aussi volatile que fulgurante, mais suffisamment pour avoir accès à une vérité existentielle insoupçonnable.

            Et cette vérité ultime représente la vraie signifiance de la maladie et ouvre la porte vers une possible guérison, si pas somatique, au moins spirituelle et ouvre surtout un autre horizon de compréhension et d’espoir. Car la maladie peut être, paradoxalement un moment privilégié, d’une remise en question totale et sincère, d’un nouveau départ dans la quête de soi et son passé familial, un périple dans l’inconscient personnel et collectif.

            Ce sous-texte de la maladie somatique, cette tectonique subtile de la souffrance c’est le territoire profond de l’inconscient (personnel, collectif), le passé, le vécu, le roman familial, la transmission générationnelle.

            En 1915 Sigmund Freud découvre la topographie de notre psychisme et la notion d’inconscient ; son disciple C.G. Jung en 1929 a la révélation d’un inconscient collectif, issu des mythes fondateurs et du vécu archaïque de l’humanité.

            L’inconscient, l’ensemble de contenus non présents dans le champ actuel de la conscience, dans un sens descriptif, et au sens ‘’topique’’, l’inconscient désigne la partie profonde de l’appareil psychique, il est constitué de contenus refoulés qui se sont vu refuser l’accès au système préconscient-conscient par l’action de refoulement.

            Les contenus sont représentants de pulsions

  •  ses contenus sont règles par des mécanismes spécifiques de condensation et déplacement.
  •  fortement investis par l’énergie pulsionnelle, ce sont plutôt des désirs de l’enfance qui veulent avoir accès au sphère préconscient-conscient.

            En 1929 Jung va partir depuis cette découverte de l’inconscient individuel à la révélation d’un inconscient collectif, issu du vécu archaïque de l’humanité.

            Je veux souligner que la découverte de l’inconscient par S. Freud n’est pas le fruit d’une spéculation théorique mais c’est une découverte qui s’est dégagée de l’expérience de la cure, du contacte avec le patient. Pareil pour C.G. Jung, en écoutant ses patients malades hospitalisés en psychiatrie il décèle dans le récit apparemment chaotique de ses patients les racines de mythes fondateurs de la culture universelle – autant de portes ouvertes vers l’inconscient collectif.

           Erich Fromm parle dés 1930 de l’inconscient social et en 1964 S.H. Foulkes parle de l’inconscient social et interpersonnel.

           Les nouveaux jungiens proposent le concept de ‘’inconscient partagé’’.

           Avec les ouvrages de Serge Tisserot, Anne Ancelin Schutzenberger en France, Abraham et Torok aux États-Unis, Ivan Boszomenyi-Nagy, on découvre la réalité clinique et historique d’un inconscient transgénérationnel, familial et les enjeux de la transmission transgénérationnelle de traumatismes des ancêtres aux successeurs, sous la forme d’une somatisation ou d’un scenario de vie répétitif.

            En présent les gastroentérologues, mais aussi les pédiatres font recours dans la pratique clinique aux concepts de psycho-généalogie et de filiation affective biologique engendrée par la transmission des contenus de l’inconscient familial à travers les générations de la même famille.

            De mon point de vue, d’ophtalmologue, cette double approche, à la fois médicale et psychologique/psychothérapeutique m’a ouvert l’accès aux confins de l’inconscient familial et aux zones d’ombre les plus absconses et les plus méconnues et ça m’a permis de comprendre, au fil de consultations, qu’il n’y a pas du hasard, ni de fatalité dans une maladie même si c’est grave – j’ose dire surtout quand la maladie est grave, lourde.

            On découvre dans la géologie souterraine de la maladie des strates profondes presque oublies du vécu du patient, de son filon familial, de ses ancêtres, ainsi que ses propres angoisses, aspirations, conflits et contradictions.

            La maladie somatique n’est pas autre chose que le récit descriptif, explicite, d’un sous-texte méconnu, insoupçonné, la souffrance somatique (surtout d’un enfant) n’est pas autre chose que la traduction d’un message venu de loin, de très loin même, un message qui a été étouffé, caché, oublié, enterré sous la croute épaisse fait par l’oubli, des tabous, le mensonge, l’interdiction, le déni, mais qui murmure encore ses mots de douleur dans la langue d’une maladie somatique.

            De la moindre égratignure à la souffrance atroce, tout est gardé au fil de temps dans ce dépositaire de la mémoire collective qui est l’inconscient familial.

             Tout ce qui a été nié, éludé, éloigné du champ de la conscience, réprimé, oublié, toute blessure, traumatisme qui n’a pas été exprimé, verbalisé, métabolisé, ni pardonné, ni expliqué, car trop douloureux, ne s’effacent jamais, mais deviennent pathologique, objet de la transmission transgénérationnelle et la source de scenarios répétitifs de vie et de souffrance, jusqu’au moment ou ces contenus oublies de l’inconscient sont en fin exprimé, comprises, assumés, accepté, transgressé grâce à l’introspection, le travail psychothérapeutique et grâce à la perlaboration.

            Dans ce livre j’ai choisi 3 cas dont 2 pathologies rares, congénitales, découvertes chez l’enfant à une âge précoce, avec un pronostic péjoratif et des possibilités thérapeutiques très limités, 2 cas dramatiques mais d’une beauté rare par la signifiance psychologique, les enjeux transgénérationnels, l’ouverture d’esprit de parents et surtout par l’évolution surprenante et même spectaculaire dans le cas de la petite Diane.

           Ces 3 cas représentent de vraies aventures existentielles et professionnelles, un parcours palpitant dans les méandres de l’inconscient, un périple haletant dans des territoires tabou vers les strates le plus profondes de la géologie du passé.

Dr Oana MIHAI, Médecin référent CDS Ophtalmologique – SOS OPHTALMO

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